Accouchement inopiné d’une sage-femme - Ophélie

Accouchement inopiné d’une sage-femme - Ophélie

De la césarienne programmée à l’accouchement inopiné en passant par la maison de naissance, Ophélie n’aurait jamais imaginé vivre trois accouchements aussi différents. Trois expériences intenses qu’elle nous partage à travers son expérience et son regard de sage-femme. 

“Je m'appelle Ophélie, j'ai 36 ans. 
Je vis à Genève, je suis sage-femme. 
Ma famille est composée de Ghislain, mon mari, avec qui je suis en couple depuis 2012, et mes trois filles : Adèle 4 ans et demi, Iris 3 ans et Alix 1 mois.   

J'ai rencontré Ghislain lorsque j'étais au collège. C'était le grand frère de deux copines et, à l'époque, je l'avais à peine remarqué. C'est bien plus tard, au mariage d'une de ses sœurs, que je l'ai vu d'un autre œil. On s'est mis ensemble et on ne s'est plus jamais quittés. Trois ans plus tard, on se mariait et en août 2017, on décidait de se lancer dans l'aventure de fonder une famille... 

Mes sœurs étant tombées enceintes en un clin d'œil, je n'imaginais pas que les choses pouvaient être différentes pour moi... Les six premiers mois d'essai, j'étais assez patiente. Mon métier de sage-femme m'avait fait entrevoir que c'était “la norme” d'avoir quelques mois à patienter avant de tomber enceinte. Et puis, au bout de sept mois, je suis enfin enceinte, folle de joie mais très prudente, je n'y crois pas... À six semaines, je fais une fausse couche, dure réalité... Je ne m'attarde pas, c'est mon caractère d'avancer, toujours droit devant. Alors pourquoi faire différemment cette fois-ci. Les mois s'enchaînent et on continue les essais. Ma vie intime ne se passe plus qu'en fonction de ce projet. Pas facile de perdre cette insouciance même si on en rigole souvent avec mon mari. Les annonces de grossesse pleuvent autour de moi, je m'en réjouis mais je me dis aussi : “pourquoi pas moi ?". Mon boulot me plonge dans une multitude de grossesses. Parfois l'injustice me saute aux yeux : comment expliquer que certaines femmes tombent enceintes sans le vouloir, quand d'autres n'y arrivent pas alors qu'elles ne souhaitent que ça ? 

Je commence alors un suivi en acupuncture avec une collègue et amie sage-femme. Elle sent que ma fausse couche n'est pas encore digérée, même si je dis le contraire. Elle me fait une séance où je suis submergée par l'émotion. Pendant 15 minutes, je pleure, je me décharge et je sens que ça me fait du bien. Je ressors plus légère de ce rendez-vous. Cette fausse couche m'a plus marquée que ce que je pensais et je l’accepte. Pour finir de m’aider, elle me suggère d'imaginer comme une sorte de rituel avec mon mari pour dire au revoir à ce bébé qui n'est pas venu. Nous décidons alors de faire s'envoler une lucky candle, ces lanternes qui s'envolent dans le ciel quand on allume une bougie à l'intérieur. C'est un beau moment symbolique que je partage avec mon mari. Je me sens apaisée. Pour autant, dans les mois qui suivent, aucune grossesse ne se concrétise. Après quasi un an d'essai, je prends rendez-vous pour investiguer. Nous sommes alors en octobre 2018 et on nous explique toute la procédure de la PMA. On te parle de spermogramme¹, d'hystérosalpingographie², de tout un tas d'examens qu'il faut faire au premier jour du prochain cycle... Sauf qu'il n'y aura pas de prochain cycle car, je ne le sais pas encore, mais je suis enceinte ! 

C'est pendant une semaine de vacances en amoureux, en Bretagne, que je fais mon test de grossesse. J'ai attendu d'avoir une bonne semaine de retard pour être sûre que le test fonctionne bien. Et c'est positif ! Incroyable !!! J'offre des chaussons de bébé à Ghislain pour lui annoncer. On est émus et heureux. Déformation professionnelle, je ne veux pas complètement y croire tant que je n'ai pas dépassé les 10 semaines d'aménorrhées car je sais qu'il y a beaucoup de fausses couches avant. Surtout ne pas s'emballer. Mais les jours passent et la grossesse tient, je commence à y croire, enfin !   

La grossesse se passe bien. Je rêve secrètement d'avoir une fille. J'ai moi-même trois sœurs et j'adore la relation qu'on a toutes les quatre... Niveau boulot, ce n’est pas facile. Je travaille en hospitalisation prénatale, un service dans lequel on s'occupe des femmes qui ont un souci pendant leur grossesse et on accompagne des couples traversant un deuil périnatal. Ça me rend un peu moins insouciante... J'essaie quand même de prendre de la distance et je fais partie d'une équipe bienveillante qui me préserve des situations de deuil.  

On attend la venue de notre bébé pour le 10 juillet. Je fais toutes sortes de préparations à la naissance : cours en piscine, acupuncture, yoga prénatal et haptonomie. J'hésite à accoucher en maison de naissance ou dans l'hôpital où je travaille. La question ne se pose pas longtemps car mon bébé est en siège. Je fais de l'acupuncture, des positions improbables (genre le pont indien) et deux fois des versions céphaliques³ à une semaine d'écart, mais rien à faire, le bébé reste les fesses en bas... Ce sera donc l'hôpital. Je connais bien les équipes et je décide de m'entourer de professionnels qui sont à l'aise avec les accouchements par le siège, ce n'est pas le cas de tout le monde. J'aimerais tenter un accouchement voie basse, sans péridurale... Tout est calé, " y'a plus qu'à ", comme on dit... Le 8 juillet au matin, je ressens ma première contraction. C'est directement intense et je me dis que ça va être long. Je passe quelques heures chez moi, je déambule, je prends un bain, Ghislain me masse. Ma super copine sage-femme, Julie, arrive vers 10 heures pour faire le point et, à 11 heures, on décide d'aller à la maternité. Je n'ai qu'à traverser la rue, j'habite en face... Facile ! C'est ce que je croyais... mais le “trajet” me fait sortir de ma bulle. Je croise mes collègues dans le hall d'entrée qui sont toutes ravies de me voir et m'encouragent. Moi, je m'effondre, ça me paraît trop dur ! Mes deux sage-femmes (Julie et Chantal) et mon mari me reboostent, on m'installe dans la salle nature, on reforme ma bulle. Je suis capable. Une contraction après l'autre, je respire et je profite des pauses... Mais ça n'avance pas assez vite. Je passe de 5 à 7 centimètres péniblement. Je craque alors pour une péridurale. Je bénis l'anesthésiste... À 9 centimètres, ça ne bouge plus, le bébé montre des signes de fatigue. On décide de faire une césarienne. J'ai confiance en l'équipe qui m'accompagne et je me laisse porter...  

Ma fille naît à 23h59, le 8 juillet, elle s'appelle Adèle et la rencontre avec elle reste un des moments les plus bouleversants de ma vie. Cette vague d'émotions, je l'avais vécue par procuration en accompagnant des patientes mais je ne me doutais pas de ce que ça me ferait de la ressentir à mon tour. IN-CROY-ABLE !  

L'après césarienne a été douloureux : difficile de bouger, je galère pour me lever. J'ai mal partout : au ventre, au dos, aux seins mais j'ai envie de rentrer chez moi. Retour à la maison à J2 et mon petit village se met en place. Je vais chez mes parents vers Annecy et je me fais chouchouter pendant les deux mois d'été, tour à tour par différentes personnes de ma famille et de ma belle-famille. Les débuts se passent donc sereinement. L'expérience de mes sœurs et leur bienveillance m'aident à débuter ma vie de maman en douceur. Pour nous faciliter la tâche, Adèle est une grosse dormeuse et à 1 mois elle fait le tour du cadran, que demander de plus ?! Alors à ses 6 mois, on se dit qu'on aimerait agrandir la famille. Vu qu'Adèle a mis du temps à arriver, on anticipe. Cette fois, on n’essaie pas mais on ne fait pas attention. Et voilà comment 3 mois plus tard, je suis à nouveau enceinte. On est surpris mais heureux. Accouchement prévu pour le 28 décembre 2020. À peine 18 mois d'écart avec mon premier accouchement... et c'est le délai minimum pour envisager d'accoucher par voie basse après une césarienne. Ouf !   

Une fois de plus ma grossesse se passe bien. Comme la première fois, on garde la surprise du sexe. Mon intuition me dit que c'est un garçon... Je pense accoucher à l'hôpital car, a priori, je n'ai pas d'autres options. Finalement, à 7 mois de grossesse, j'entrevois une autre possibilité. Ma copine Julie, qui est sage-femme en maison de naissance, vient de faire une formation avec une sage-femme québécoise qui est une fervente défenseuse des femmes et de leur capacité à accoucher. Comme tous les signaux sont au vert (localisation du placenta, épaisseur de la cicatrice, présentation céphalique), je pars sur un accouchement en maison de naissance. Mon mari me suit dans le projet même si après une césarienne, ça lui semble fou. Il décide de me faire confiance. Je suis donc la préparation à la naissance de cette fameuse sage-femme québécoise. Ça m'aide à avoir confiance, à me dire que je peux le faire. Arrivés proche du terme, on confie Adèle à mes parents. Au bout d'une semaine, toujours rien, bébé ne se pointe pas. On part revoir Adèle pour le week-end et le dimanche matin, le 20 décembre, vers 7h, je ressens ma première contraction. C'est intense mais irrégulier. On quitte Adèle et on repart à Genève, chez nous. J'ai des contractions toute la journée... bain, massage, balade... À 20h, j'en peux plus ! On traverse de nouveau la rue mais cette fois direction la maison de naissance. Ghislain a l'impression que je vais accoucher sur le passage piéton tellement les contractions sont rapprochées. On arrive à La Roseraie. J'adore cet endroit. C'est une ancienne maison, très belle. On s'y sent bien. Je prends un bain, je dors entre les contractions, je crie, je me demande pourquoi j'ai décidé de m'infliger ça, on me remotive. C'est à 23h41 qu'Iris va pointer le bout de son nez. Suite à l'intensité de la journée et des dernières heures, j'ai besoin de temps pour atterrir. On découvre que c'est une fille. Elle fait 3810g soit 800g de plus que sa sœur, ce qui explique le temps qu'elle a mis pour naître... Le reste du séjour, je suis chouchoutée. Quelle belle parenthèse ! On rentre après deux jours et on démarre notre vie à quatre, toujours entourés de nos familles qui nous aident et nous permettent de vivre cette transition en douceur. Je suis ravie de cette complicité entre elles et je me réjouis qu'elles connaissent cette relation entre sœurs que j'aime tant. 

 

“Non mais tu ne comprends pas, la tête est là !"  

En 2022, on aimerait un troisième enfant, alors on lance le projet et c'est en février 2023 que je découvre que je suis enceinte. Une grossesse bien différente... Je n'ai pas le même ventre, j’ai la nausée et pas d'inspiration pour un prénom de fille. On décide une nouvelle fois de garder la surprise mais je suis sûre que c’est un garçon. La grossesse se passe bien, j'ai prévu d'accoucher de nouveau dans la même maison de naissance. Seul changement, on a déménagé et j'ai un vrai trajet à prévoir dans le timing, le jour J : entre 15 et 35 minutes selon la circulation. C'est la seule inconnue de l'équation et je me demande si je saurai identifier à quel moment partir le jour venu...  Le 10 octobre, à 39 semaines et 5 jours (comme mes deux autres accouchements), je suis prête et j'ai envie d'accoucher. L'après-midi, je sens comme des douleurs de règles un peu constantes mais rien de sérieux. Ma maman est arrivée depuis la veille pour garder les deux aînées si je devais accoucher. 21h30. Je vais me coucher, je me fais réveiller toutes les 10-15 minutes par des contractions sur lesquelles je souffle un peu plus. Je me dis encore que ça peut s'arrêter. 23h20. Une contraction plus intense me réveille, je romps la poche des eaux et les choses sérieuses commencent... J'ai trois contractions en 15 minutes qui s'intensifient et se rapprochent au fur et à mesure. À la troisième, je préviens mon mari qu'on se met en route. Pendant qu'il avance la voiture devant la porte, une quatrième contraction me terrasse et je glisse à ma maman que je ne suis pas sûre d'arriver jusqu'à La Roseraie. Au moment de monter dans la voiture, je dis à mon mari de retourner chez nous pour prendre deux serviettes au cas où. Prévoyante, on ne sait jamais... Foutus sièges-autos, je ne peux pas m'allonger derrière... Je me mets sur le siège avant, même si m'assoir me paraît impossible... 16 minutes de trajet prévu au GPS... Ghislain, pied au plancher, démarre la voiture en trombe et moi qui dis tout et son contraire : "pas trop vite", "accélère", "doucement"... J'ai des contractions toutes les deux minutes et l'intensité est de plus en plus forte. Jusqu’à ce soir-là, je n'avais jamais compris l'utilité des poignets au plafond dans les voitures, mais là, elle a été mon meilleur allié. Je suis suspendue à la mienne, avec Ghislain en coach pour me rappeler de me détendre entre les contractions. Il me fait le décompte des minutes et des kilomètres. À mi-chemin, je sens que la pression sur mon bassin s'accentue et j'ordonne à mon mari de rappeler Julie pour lui dire que je vais accoucher dans la voiture. Julie me rassure et me dit qu'on va avoir le temps d'arriver : "Plus que 7 minutes de trajets, c'est rien ! " Ghislain la croit, moi je ne sais pas... Je ne suis pas stressée mais vraiment pas bien installée. À moitié allongée, une jambe sur le tableau de bord et le dos contre la portière passager. À 500 mètres de La Roseraie, je sens que la tête est là et je dis à mon mari (qui croit encore qu'on va avoir le temps d'arriver) : "Non mais tu ne comprends pas, la tête est là !" Je descends ma culotte sur mes chevilles mais ma position dans la voiture m'empêche de l'enlever complètement. Je lui hurle de m'aider, il comprend l'urgence et s'exécute très efficacement. Au moment de tourner dans la rue de la maison de naissance, il tourne la tête et découvre, estomaqué, la tête de notre bébé qui sort. Un coup de klaxon et quelques mètres plus tard, les sage-femmes ouvrent la portière de la voiture, stupéfaites de voir la tête et d’arriver juste à temps pour accueillir le reste du corps qui sort dans la foulée. 23h59. Notre bébé est né dans le confort spartiate de notre voiture. Je l'ai contre moi, je profite de cette rencontre, étonnée que les événements se soient enchaînés si vite. Quelques minutes après cet accouchement inopiné, je sors de la voiture, mon bébé contre moi, le cordon entre les jambes. Mon mari d'un côté, Julie et une autre sage-femme de l'autre, pour m'accompagner jusqu'à la salle d'accouchement. On contemple ce beau bébé et on découvre que c'est une fille. Une troisième nénette pour compléter la team. On est super heureux. Décidément, ne pas se fier à mon intuition... 0/3   Après cet accouchement inopiné, on profite d'un séjour de deux jours à la maison de naissance. Les filles nous rendent visite et la rencontre avec leur petite sœur est très attendrissante. On reprend nos marques tranquillement : les tétées, les nuits, la fatigue mais surtout le bonheur d'avoir notre tribu au complet. Je ressors grandie de chacune de ces expériences, plus complète en tant que femme mais aussi en tant que sage-femme."

 

Le mot freestyle d’Ophélie ! 

Ces différentes grossesses et naissances, dont cet accouchement inopiné, m'ont aidée à entrevoir quelques-uns des parcours des patientes que je suis. Je me rends compte que nous sommes toutes singulières, que chacune vit une expérience intense. Je suis chaque jour un peu plus fière d'avoir choisi cette voie, d'exercer ce métier et aussi fière d'être maman. Vive la vie, vive la famille !   

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¹Le spermogramme est un examen médical qui permet d'évaluer la qualité du sperme.
²L’hystérosalpingographie est un examen médical qui permet de visualiser par imagerie l’utérus et les trompes de Fallope en injectant un produit de contraste à base d’iode. 
³Il s’agit d’une technique obstétricale qui consiste à retourner par manœuvre externe, un fœtus qui se présente par le siège (« fesses en bas »), en position céphalique (« tête en bas »).  

 

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